POÈMES in LES CHOSES DU MONDE (trad. Lorand Gaspar, L’Arbre à Paroles, 2007)
ISBN 978-2-87406-358-9
2-87406-358-4
( www.maisondelapoesie.com )


Prisonniers du rêve

Issus du corps de
nature, détachés, ayant
pris leur vol, mais,
de peur, retombés
dans l’angoisse.
Pourtant aimant
la vie, certes,
pour elle-même.
Indifférents
par expérience
aux choses humaines,
mais s’accoutumant
peu à peu à les considérer
de loin et, grâce au recul,
les voyant plus belles.
Prêts à supporter
privations et déchirements,
méfaits et malheurs.
Prisonniers du rêve
intact d’en sortir,
Dieu sait comment, indemnes.

 

L’objet de la pensée

C’est une abstraction et
non un fait:
l’objet d’une
pensée, un concept
plus qu’un sentiment,
un état désiré
poursuivi par l’esprit
mais insatisfait,
perdu avant même
d’avoir été conquis
et dont on ne jouit jamais
(toujours sur le point
d’être...), cru
et déliré: le
sens du plaisir.

 

A la mode litote

"Sans offenseur, pas
d’offensé, comme
sans jouissance, pas de douleur."
... subtil raisonnement
certes, et ô combien
voilé par le halo
débordant de la litote.
Ce qui est détruit
souffre et ce qui détruit,
nonobstant, ne jouit pas.

 

En attendant l’événement

Le nom pas encore
prononcé:
ce qui, dans le secret
d’une pensée, chaque fois
entièrement se répète
et pourtant n’a pas été...
amorce continue
de l’action restée
prise dans
ses propres crocs.

 

Jamais plus

Le mot réduit
à l’incroyable, avec
toutes ses
incertitudes, ses remords,
ses sous-entendus. Un
point final pour
le reste qui se meut,
pensé, répété,
prononcé comme
une impossible donnée:
"jamais plus". Pour ce
qui se pouvait
et qui ne fut.

 

La joie et le deuil

La vie qui
s’allume et
s’éteint par
hasard, la trace
lumineuse, le
sillage que laisse
derrière soi
ce qui fut,
la joie et le deuil:
précipité, tout cela,
dans le vase obscur
entre les bras de
l’ombre. La trace,
flétrie, de
toute chose.

 

Entre temps

L’origine secrète
la faille
d’où sourd
la source, la projection
vers le mieux, le positif,
ce qui, étant,
se croyant durable,
devient ensuite
immuable, a cessé.
Cependant il est
geyser, soufflard
d’où naît le borax,
écume.

 

Nécessité du leurre

Signaux qu’à moi-même
j’ai fournis que j’ai
usés de mon devoir,
que j’ai laissé sombrer
tels quels.
Je sais qu’il est inutile
de savoir que le soleil s’est
levé ou couché, qu’il
fait chaud ou froid,
qu’ici ou là il a
plu ou neigé. Je me
laisse tromper
par les signaux qu’émet
l’objet mort,
pour l’amour
que je porte
encore, malgré moi, aux
sept péchés capitaux.

 

Serviteurs du monde

Les erreurs de la pensée,
les monstres obscurs de
la raison, l’effet des
vaines images sur
le cœur, l’éternel
recours aux ressources
de l’amour, une ombre
de vérité escamotée sans
solution concrète. Avec juste,
au fond, une donnée sûre,
et même plus une prévision:
le temps perdu à
servir le monde.

 

L’être aimé

Frôlé enveloppé
flatté emprisonné,
miroir confident
aliment tyrannique
oxygéné, l’être
aimé, prétendu
et déclaré.

 

(Trad. Lorand Gaspar)

 


 

 


  Paolo Ruffilli Mail: ruffillipoetry@gmail.com