Traduzioni:  


LA JOIE ET LE DEUIL
(trad. Monique Baccelli, Écrits des Forges, 2006)
ISBN 2-89046-956-5

www.ecritsdesforges.com


LA JOIE ET LE DEUIL
Passion et mort par sida

(1987-2000)


à ma fille, et à tous les fils du monde


" La vérité, c'est
qu'en naissant
ou en mourant
il n'y a, au fond",
m'a dit ma fille
en pleurant
"aucun respect
pour la dignité
de la vie
en ce monde".

... seul ce que tu as vraiment aimé
ne te sera pas arraché
ce que tu as pleinement aimé
est ton véritable héritage

E. Pound

 


La vie s'allume
la vie s'éteint
( par hasard ?),
la trace lumineuse
le sillage que laisse
derrière soi
ce qui fut ,
aimé et connu
pour être perdu,
la joie et le deuil
tout précipité
dans le vase aveugle
dans les bras du noir.
L' empreinte, fanée
mais entre-temps refleurie,
de tout ce qui est.


Réduit à ça
ravagé: lui rejeté
perdu dans la rue,
drogué . À présent perdu
même dans son lit
rabougri
dans le drap blanc
hâve, rendu là,
gisant sur le côté.
Moins que la moitié
de soi,
dans ses habits
desséché, déchu, vieilli
à la fleur de l'âge,
au coeur d'une vie
déjà flétrie.
À tout fermé
dísormais
sans prise aucune
même sur la pâle
lueur diurne.
Sang de son ventre
chair de sa chair
assise penchée
sur le paquet muet
elle gît près de lui
tendue pour en faire
enfin objet de paix.
"Fils bien aimé,
quoi que tu aies été",
La plainte tenue puis lâchée
dans le silence qui
précède la ruine.


Elle traque
les plus jeunes
sape les plus forts
en fait ses jouets
qu'elle moleste et défait
elle ne regarde pas en face
mérites ou âges
elle tire au fond
ses victimes préférées (volute e)
pille, dépouille et saccage
avec ses griffes
ses bien-aimés.
Les rôles désormais
sont inversés:
les pères ensevelissent
les enfants, choient
leurs vies gâchées,
les serrent blessés
dans leurs bras, les
veillent mourants
sans peur assistent
à leur agonie impuissants
et en pleurant
sentent qu'on les leur prend

En courant, en plein (tutto)
dans le tourbillon
.... entrées sorties,
disparues réapparues
déclinantes les choses
vues puis évanouies...
Oh, quel terne et sombre
matin se répand
battu, muet au vent
sur la scène du monde.


" Ce qui arrive
hors d'ici
ne me regarde pas.
Désormais différent
du reste des gens
se sont séparées
ma route et les autres
je suis exclu
de la vie et tente en vain
de m'en emparer
sans appel oublié.
Je me sens perdu
dans le va-et-vient
des gens
dans ce panier plein
de ma chambre
et la raison c'est
qu'entre moi
et les objets
s'est installée
en un instant
une abyssale distance
que rien ne parvient
à combler.
C'est quoi? Qu'est-ce que tu fais?
Je continue à l'interroger
ma conscience
mais n'arrive plus désormais
à l'aider,
je ne traverse plus les rideaux
de vide et de substance
de mon ancien état.
Pas de retour, peut-être,
depuis la fin".

Le mal, le consumant
degré par degré
l'a rongé
peu à peu rogné
le ramenant à l'état
dépendant de l'enfant.
Avec ses manières
d'alors
il revoit son père,
de distant qu'il était
à nouveau tout-puissant
et lui à présent
prêt à tout
pour enrayer
l'attaque effrénée
qui l'assaille,
avec un regard
transparent, égaré
avide d'apaisement
du soulagement
de son tourment
épouvanté
il demande encore
en implorant
d'être sauvé.


... le mouvement allant
à pas lents,
le souffle haletant
du vivant
attendant
de passer dans l'au-delà
au moment où il est là
pour n'être plus qu'absent...


Il est en train de m'exiler
par étapes, le monde
par morceaux, par morsures
par degrés me révoquant
m'ôtant
voix et force d'agir
m'isolant, m'excluant
du contexte naturel.
Il m'a déjà trahi
en devenant
d'amant qu'il était,
ennemi personnel
acharné et cruel.
Ici dans ma prison
moi seul suis confié
à une garde artificielle
pendant que les autres,
les copains,
l'infirmière et les médecins
ont une autre vie
en quittant l'hôpital
pour eux le champ
est ouvert, illimité
et va où chacun veut.
Je le sais que je ne pourrai
Jamais plus faire partie
de la bande,
je le comprends
aux discours réconfortants
à l'éclair intermittent
de qui me fixe en hésitant
et - plus dur
plus poignant -
à la fêlure
des mots éteints
de ma mère".


Rage et peur
désespérante désespérée
détresse, à raison
ou à tort tumulte
et fureur révoltée
cueillie et déjà errant
précipitamment
non plus en secret
pour toujours désormais
l'occasion.


De nouveau innocent,
désarmé
comme un nouveau-né
ayant besoin de soins
et de repos,
alimenté, assisté
dans l'écoulement
de chaque instant
chaque mouvement.
De nouveau maintenant
je me sens en proie
à l'effroi,
alors si souvent ressenti
rien qui ne m'alarme
et ne me demande
vu son état présent
s'il m'entend
s'il a chaud ou froid
s'il est endolori
peut-être même s'il respire,
s'il est mouillé.


Je le revois
à peine né
comme si c'était
hier.
Incapable
de m'en occuper
même, emprunté
pour le manoeuvrer.
Source d'angoisse, moi,
et d'appréhension
pour le libérer
le rendre vivant
lui si content
Peu à peu intrus,
par ma faute exclu
de la série
des couches et des tétées,
puis désorienté,
me sentant finalement
éliminé
allant à l'aveuglette
vers ses limites.

"Enfant je croyais
n'avoir pas été
vraiment désiré .
Venu, oui, troubler
une mesure pas sûre
du tout de durer,
avec crainte traité
ou supporté .
Il me semblait
ne pas être écouté .
Grandi au hasard
bizarrement :
papa impatient
lointain tout en étant
tout près,
maman énervée,
despotique,
me voulant son bien
sur la paume de sa main,
pensant à tout, elle,
maîtresse de mes rêves
voulant satisfaire
par ses seuls soins
tous mes désirs
et mes besoins".


Arracher qui tu aimes
du coeur de la chair
où il se niche
c'est comme déraciner
le chêne de la terre :
il plonge dans les strates
secrètes ses branches,
ses sombres capillaires
descendus pour chercher
soutien et nourriture.
Mais aucun choc jamais
aussi violent qu'il soit
n'arrive à extirper,
du dedans, son fondement.
La force qui l'attaque
qui l'attrape
secoue sa base
de son centre l'écarte,
déchire et brise
des tranches entières,
arrache ses bras
suspendus là
dans la cascade
des barbes noires
et fait monter
avec la décomposition
avec la matière
putride, gangrenée
avec la putréfaction
la pureté,
un bien pénétré
tout au fond
rivé dans les vides
les plus reculés
où demeure
contre tour vol
et toute erreur
la vie enracinée.

" Pour moi
plus rien à faire
malgré les efforts
et les confirmations répétées.
Ceux qui m'assistent
nuit et jour
sont déjà loin
tombés dans le présent.
Les soins
n'ont pas eu
sur moi d'effet
et il n'y en aura pas plus
dans les prochains ou les suivants.
Je sens les muettes attentions
la triste gaieté
de l'infirmière
et les preuves d'affection
de tous les miens réunis,
les yeux rougis
comme tournés, muets,
pour me cacher
leurs prévisions
l'état désespéré
de ma santé,
inutilement,
car j'en sais
toute la gravité.
Nous perdons
de réciproques occasions
pour le peu qui me reste
et avant d'en être empêché
je veux rentrer chez moi
être dans mon lit
dans mes endroits à moi.
Pour transformer
la douleur en réconfort
et peut-être en fête
pour ces gens
mentant par amour".

Port sûr
pivot du jour
qui tourne comme un rapace
brisées les rives
en plongeant dans le puits
au milieu des ondes
dans le fond qui éblouit
tandis que tombe
que gît et que vole
rebelle et vaincu
descendu remonté
à l'averne aux étoiles
vacille et déraille
froidure et vapeur
avec le poids perdu
qui éperonne et bondit
culbute et se plie
piétine et s'acharne
sur le coeur fluvial
d'une nuit de paix
au bord conclu
l'espace qui soutiendra
conduit reclus
sans dessous dessus.
Qui le protégera
qui le recouvrira...


C'est l'autre face restée
dans l'ombre de la vie,
la partie
ignorée mais prééminente
en opposition apparente
avec la loi, pôle et
aimant qui au sol
attire les corps
les tient dans ses bras
les tient les soutient
base et piédestal
pour ce qui s'y est déposé
laissé et, oui, réduit
à l'état pur....
qui informe, au contraire,
et meut le monde
ayant imposé
pause en chemin
arrêt au mouvement
pour un plus grand élan :
plongeoir et tremplin.


La fleur de la vie
est reprise bien avant
sa maturité
et verse de sa courte cime
sa couche vive
de lacérantes épines.
Il est trop fatigué
pour regarder devant lui
- la moindre lueur l'éblouit -
et continuer à lutter
au fond de son lit,
lutter pour son futur
se défendant désormais
d'une ennemie.
Perdue la bataille
sans regrets.
Renversé sur le côté
contre le mur
il a du mal à respirer.
Au dessus
du noeud qui pèse
sur sa poitrine,
quelle que soit le pli
qui distend, il sent
monter le seul désir
de rester enfin
abandonné à la merci
du fleuve noir qui
l'emporte, noyé.


Pourquoi
n'ai-je pas tenté
de comprendre avant?
C'est ma faute.
Les fleuves de mots
à toi qui me demandais,
qui attendais de moi
appui et sympathie
oeuvres vives.
Je t'ai fait des sermons
par compréhension :
sentences, directives,
admonestations.
Je t'ai trahi
dans tes aspirations
malgré moi résigné
à l'avidité du monde
et à ses traditions.
Seul je t'ai laissé.
Pis encore, repoussé
piétiné.
Par inertie dispersé
moi, tombé
dans les contingences
sûr de te rendre rusé.
Tu ne t'es pas égaré,
non, c'est moi
qui t'ai manqué.


"Que c'est dur de découvrir
que tu as déçu
leurs aspirations
que tu n'es pas du tout
comme ils t' avaient voulu,
que tu ne ressembles pas
même de loin,
à l'idée certaine
qu'ils s'étaient
faite de toi.
Quelle peine
de les peiner
justement par amour
sans les tromper
et leur révéler
un état jadis en entier
vainement nié,
la monstrueuse vérité
sûr de les déchirer
dans leur chair
mais ne pouvant vraiment
pas faire autrement,
et les désespérer".


C'est la réalité incohérente,
le vide et le plein
de la vie, sa marche
intermittente,
la mesure finie
et balbutiante
de notre pied
trébuchant
glissé dans le néant
le côté et le fait
humain de l'histoire.


" Quand ça t'arrive
plus rien n'est sûr
pas même le presque rien
il n'y a plus moyen
de s'en sortir
se brise le fil
de l'honneur, tu n'as
plus confiance en toi,
en tes dons :
tu pars à la dérive.
Ainsi j'ai fini
par aller au fond
parce que sur la fierté
s'est imposée
la soumission ,
sur l'estime de soi
le mépris
et sur l'orgueil passé
la honte, oui.
La peur du monde
m'a vidé
de ma volonté.
Tant que je ne l'ai
pas rencontrée
et sentie, vive,
la nécessité
d'aimer
et d'être aimé.
Et justement quand
elle me semblait finie
noyé dans ma vaine
douleur, tout à coup
j'ai retrouvé
avec ma force
le sens inédit
de la vie".


J'ai pris peur
face à sa douleur,
craignant d'être
tout à fait incapable
de tenir le coup
devant lui défait , éteint
en pleine jeunesse,
et ajoutant l'angoisse
à mon violent état
d'effroi. Mais
ma terreur dominée,
après le premier choc
je me suis retrouvé
prêt à toute éventualité
fût-ce dans la douleur
et sans solution.
Moi, amant aimé,
me voyant reconnu
' - cruelle faveur-
le fiel cru
de la survie,
je suis sans appui
leurré face
au verdict
vexé, berné,
me voyant
contre toute prévision
intact et préservé.


Je le prendrai lui
maintenant comme fils:
il sera pour moi
ce que tu étais toi,
je l'aimerai
-je te le promets-
en plus encore
si ce n'est pas
une injure
à ton nom
et ton souvenir
pour ne point faire tort
à ta volonté
et tes sentiments
et pas seulement
par remords
mais vraiment par amour.
Ce fut là
mon plus grand tort.
Pourquoi ai-je attendu
de le voir désormais
vaincu en sa présence
pour lui dire fort
que ce qui compte
c'est ce qu'il a éprouvé
et intensément donné
quel que fut celui qu'il a aimé?
Et ce qui l'a sauvé,
vivifié
avant d'être touché
ravagé .




" Ce n'est pas pour un conseil
ou une explication
que je te poursuivais
avidement dans ton bureau,
je m'en fichais
de ton opinion.
Je venais
me faire embrasser
je cherchais
ton approbation.
En la retenant je couvrais
la lave en fusion
qui en moi montait,
faisant
comme si de rien n'était
sans le dire je criais:
"Papa, c'est ton fils".


Que de temps perdu
sans se dire jamais
ce qui comptait,
sans attentions
l'un pour l'autre
distraits
par l'insignifiance
de vaines actions
de toute façon
sans importance.
En pensant peut-être
avoir Dieu sait
quelle profusion
dans un éternel délai
gaspillant au contraire
une partie de la vie
en futiles forfaits,
rêvant de réussites
et contacts répétés
et, enfin, de l'occasion.
Oubliant pendant ce temps
le bien éprouvé
et pour qui sait
quelle raison
de la tête ou du coeur
chaque fois manquée.
Inconscient
des limites et
par conséquent
de la liberté enterrée.


L'origine secrète
tout à coup saisie
rendue manifeste,
la source, la fêlure...
de se projeter
vers le mieux, le positif.
En ce qui, étant,
cru durable
devient après
état figé, bloqué.
Mais, en attendant,
geyser, soufflard
boraciphère, écumant.


Le rêve méridien
la joie possédée
et pourtant partant
l'euphorie...
un coup de cloche secret
qui rend tout
peu à peu
de moins en moins plat
et plus excité :
frénésie effrénée.

"Si je guéris, moi
et remarche
si je suis debout
si je peux sortir
tout seul
et aller de nouveau
comme je veux
où je veux.
Me suffirait
un bref trajet
jusqu'au marchand
de journaux
même avec la neige
au risque de tomber,
et quelle géniale idée
serait une virée
plus lointaine,
l'odyssée d'une journée
en quête d'inédites
haltes et rencontres
déviations et révélations.
Je m'arrêterais pour boire
juste pour le goût
et pour le fumet
une tasse de café et
je resterais enfermé
pour humer
la fumée des cigarettes.
J'entrerais pour causer
chez le maraîcher,
regardant les couleurs
dans ses cagettes
de chaque légume
chaque fruit
emplissant ma main
de leurs formes parfaites.
Je perdrais du temps
le long du chemin
sur la trace dénichée
de mon chat,
avalant l'air
froid et clair
et savourant
un bon moment
le goût du crachin;
Si je guéris...moi
je retraverserai
le déjà fait,
le déjà vu
l'illimité
que j'ai connu".


Mais tout est désormais
perdu, fichu et
glissé sur la pente
du temps consumé
évanoui, évaporé
dans la trouée
sans retour
en arrière de l'adieu.


À force de monter
des mois durant
et des années
les marches de la vie
on apprend
en vivant
le rite de deuil
et l'art de crever
sans illusions :
en cultivant les derniers
instants, au chevet du lit,
en célébrant
l'acte final de la sortie et
en cherchant à restituer
avec l'appui
de l'intelligence
sans fierté
une dignité
à la carence des organes,
à la dégénérescence
de la fonction cérébrale
à la lente dégradation
de tout centre vital.


C'est un moment de rencontre
et de rédemption:
sa consolation
dans l'effroi
et la consolation
de la plainte de qui
l'a aimé, au moment où
ils vont se séparer
chacun allant
de son côté.
En attente, les uns, unis
et lui au-delà vigilant
dans le noir aveuglant
au delà désormais
de la trouée
de toute prévision
dans le revers
de sa médaille.


" Je vous ai salués,
tous, sans vous parler.
Je vous ai remerciés.
Vous avez été
le force et la raison
dans mes angoisses,
malgré le mal
que je vous ai fait
dans mon erreur répétée.
J'ai appris à vous aimer
vous le savez
et je vous aime encore:
dans mon esprit vous resterez
et dans mon coeur.
Mais je pars en courant
du monde me détachant,
prêt à vous quitter,
seul à regarder en avant.
Je ne vois plus
même pas dans le présent,
je me sens soulevé
flottant et volant
pas vraiment content
mais pas non plus souffrant,
désormais attiré
par le saut précipité
où je suis, je reste
tombé."

Ce n'est pas déchirant, non,
comme il le craignit
effondré il gît
en lui,
il descend en s'abandonnant
dans l'entonnoir. Non
il ne résiste plus :
quelque chose le conduit
enfin vers la paix


Digue, barrière,
partage des eaux
- île et pont- tunnel
galerie passage
par où filtrer au-delà
de tout le reste
du monde.
Invisible bizarre
couture
qui pêche dans le fond
amorce le souci
assure l'intégrité.
Le double jeu :
entrée sortie
peur et confiance
pause et mouvement.
La vérité qui s'ouvre
et se referme sur l'inconnu.

Je ne te vois désormais
que de dos
comme du haut
d'un sommet
tomber
de plus en plus bas,
avancer par l'étroite
ruelle au fond de la trouée
où tu disparaîtras.
Ne pars pas,
reste ici, attends.
Tu es déjà relié
à une chose
que je n'arrive pas
à partager.
Tu ne pourras pas
m'y voir associé.
Qui te presse?
Pourquoi? Reste,
je t'en prie car
je sais que tu ne sais pas
que c'est moi
qui supporte le rapt.
Air de mon souffle, sang
de ma chair.
Sans toi que faire
de ma vie?
Quelles noires prévisions
quelle fragile réalité
se présentent à moi,
quelle amorce déchirante.
Mais ton regard
n'est pas là :
où, on ne sait pas
mais pas ici.
Tu fixes un autre monde
à peine à un pas
et pourtant si loin
distant, sidéral.


Fragile miroir
écran de peur
où campe
le vide.
Elle donne à la flèche
le mouvement`
et glisse sur le côté
la main apeurée.
Et le monde
se cogne dans le filet
arraché
au brouillard
par hasard
saisi, repris
dans les traits du plâtre
qui s'incise gratte
érafle hurle
monstre d'écriture.
Ainsi, du noir bloqué
la dalle poussiéreuse
fixe depuis le fond
le bord de la chose.


M'agitant autour
de son délire
j'ai à peine eu le temps
de lui redire
le sens
qu'ont eu pour moi
la vie qu'il a vécue
et le trop bref vol
qu'il a accompli
sur le dos du monde.
Ce fut ma façon
de partager son sort
jusqu'au bout rendant
à la mort sa dignité
et empêchant
qu'il reste seul.


En supposant
qu'on puisse
encore continuer
à être présents
en s'asseyant
tout près
de qui en se taisant
achève son chemin
et parler vraiment
à qui par des
portes intérieures
semble passer
par un autre sentier
dans sa destinée


O Dieu caché,
peut-être tout près,
désiré, traqué
jamais débusqué,
O Dieu secret
du coeur et de l'esprit
qui voit tout comprend tout
déchiffre et refait
O Dieu rêvé
dormant du lourd sommeil
des injustes
quel que soit
ton état,
quel que soit l'endroit
de l'univers
qui te contienne
submergé, infini, pivot
fixe éternellement dans
son giron, toi,
scandale du monde,
allonge ta main
et soutiens- le dans sa chute
emporte-le
au-delà du fossé gris
de notre désamour
et là fais-le planer
dans ta ruche heureuse
du fond de l'abîme
en fleur de ta fleur.

Et après?
Ce sera quoi?
Dans un état
d'inconscience
permanente...
ou bien, un vide....
ou pire, rien...
Une autre façon
de sentir
nous permet
peut-être
de connaître
une vie ranimée
par le fait de mourir?


La force qui se gonfle
pressée , prolongée
encore par Dieu sait
quelle extension,
la fureur sans frein,
tyrannique pendant
que monte, se rengorge
et attaque
avec sa violence
et mord chacune
des parties foulées,
l'intacte puissance
qui le pousse à sortir
hors de lui
penché et déstabilisé
dans l'entaille
de sa blessure
ouverte et tuméfiée
jamais plus cicatrisée.


Crue qui emporte
qui plie qui démonte
d'une rive à l'autre
qui baisse qui monte.
Vague qui prend
qui fonce et déferle
qui renverse qui fond
qui répand
qui dissipe enveloppe
relie. Jusqu'à ce que
se brise et gise
occulte la présence
effacée. Et sous
le choc de l'avalanche
arrachée puis déracinée
de sa strate.


Le corps est plat
décoloré
plus qu' une feuille
de papier vélin
qui devient
court et vide
plus soutenu
par le souffle
il ne palpite plus
et le souffle rompu,
dépouillé,
évanouie
son essence , l'air
est sorti de son étui
abandonnée
déjà en proie au néant,
à l'inexistant.
Parti Dieu sait
où. extrait,
lui, expiré
elle s'est envolée
la lumière de son regard,
devenu gris, voilé
dans l'instant,
les yeux dégonflés
sans pupilles.
Elle s'est éteinte
sa vie
après la contrainte.

Qu'il sente ou non
encore ... Il atteint
un autre état
puisqu'il a glissé
de la violente phase
de la douleur
aux paisibles ombres
d'une apparence
éteinte et déjà évanouie
avant sa sortie.

Que nous reste-t-il?
Hors la privation,
l'incomplète condition
à supporter en attendant
ensemble avec un sentiment
de culpabilité
pour tout ce que nous pouvions
et n'avons pas fait.
Elle est morte avec toi
une grande part de nous
car sans le savoir
nous étions les complices
de presque tous tes actes,
puisque ta vie
était notre vie.
O fils bien-aimé
et, en t'aimant,
enfin connu
plein de tourments
et de secrètes vertus.
Quel triste héritage
quels amers sentiments
nous dûmes retrouver, ignorants.
Et de Tisons ardents
comme tu nous avais baptisés
nous voici réduits
- si tu nous voyais ! -
à des brandons éteints ,
peut-être dans l'attente
- espérons le-
de reprendre feu,
au moins un peu
malgré le regret
plus pour la joie,
que tu aurais encore eue toi
que pour les satisfactions
que tu nous aurais
données.


La paix après la furie
déchaînée. Il gît
en son malheur
renversé
pestiféré
perdu pour la vie
Exécuté par la loi
inique. Sans abri
sous la torture
tombé, écorché.

Non elle n'est pas
la plaie biblique
elle n'est pas punition
pour les maux du monde
elle n'est pas châtiment
mais crime atroce
offense aux êtres
de la nature indifférente
et pour en porter la croix
dans les années cardinales
de leur vie
c'est la troupe fournie
non pervertie
des jeunes
finissant à la dérive
sous la cape noire
pour une vague faute
d'élan et de déception
fruit de l'âge
et pour la confusion
des buts et des choix.
Complètement
sans défense
ne pouvant opposer
résistance à l'agression
déjà en proie
à la maladie
de l'hypocrite ennemi
qui, cruelle embrouille,
se masque et passe
pour autre
fuyant juste ce qu'il faut
celui qui la chasse
et, intact et lâche
pendant ce temps
fait ses ravages
sans pitié saccage
dans le souterrain.

État ambigu
de la nature
sa duplicité
bouclier et ennemi
source de remèdes
et de mortels dangers
elle ne nous accorde autant
que ce qu'elle demande
en échange
Elle ne nous offre rien
qu'elle ne nous ait déjà pris.
Art de l' ambiguïté
tête de pont
elle nous guide en revenant
du lointain passé
vers les temps futurs.
À ses pauses
elle oppose
le mouvement
au vide le plein
au positif le négatif
à chaque action
une réaction
égales et opposées .
Elle exige de nous des réponses
pour nous offrir un refuge
dans le milieu
qu'elle a créé pour nous
elle nous jette dans le danger
défie grandement
notre immunité .
Elle nous perd partiellement
pour nous sauver globalement.


Sa vie
n'est plus
dans son corps,
quelqu'un l'en a
tirée.
Ailleurs désormais
plus haut dans l'air
lévitée légère
elle s'éloigne
intacte
de la cosse où
elle était prisonnière.

Ce qui reste, ensuite,
quelques heures encore
c'est notre enveloppe
contractée, rabougrie
toute mise à nu
blanc sale devenue,
de la couleur pétrie
de la cire.
L'esprit vital
qui imprègne
le fond des tissus
en les faisant palpiter,
en leur donnant
commune vigueur
en est sorti
en se dissolvant parti
pour naviguer
sur quelles mers?
L'âme en fuyant
l'a traîné dehors
avant l'assaut
qui en se propageant
à l'intérieur
a tout détruit.
Honte et déshonneur
d'une nature
qui s'en fiche
et nous défigure
jusqu'à n'être
plus reconnus
par les nôtres.


Mais quelle dignité
quel sens
peut-il y avoir
dans une action
aussi dégradante...
Le méchant prédateur
avançant de l'intérieur
ceinture puis meule
avec de torves
ramifications agrippé
avec les crocs
des tentacules entré
dans l'obscure profondeur
sangsue des tissus
machine et parasite
pendant ce temps sans bruit
a dévoré la vie
du coeur jusqu'aux
extrêmes limites
pourrissant
mordant avidement
altérant
mettant
l'enfer dedans.


Ongle cruel
lame fidèle
qui creuse
sauvagement
tord et empêtre
fait braises et glace
accroît et consume
entre ses bras
le sort barbare.

Je m'en rends compte
difficilement
mais malgré tout
je suis content
maintenant
qu'il s'est enfin
soustrait au mal
sournois, impitoyable
dégradant
qui a dévasté
son corps et son esprit
obscurci
par la douleur
brûlé
par la flamme
qui chaque jour
l'a rongé, exterminé
dans les strates saines
de la jeunesse.
Pourtant je ne l'ai
pas accepté
le drame quand
je l'ai connu
Ce ne fut pas réconfort
à mon incertitude
que l'unique salut
soit, parfois
la mort
pour qui tu aimes.


Il s'en est allé
abattu par le mal
maudit, dépouillé
devenu objet
de l'outrage, du gâchis
au milieu de ceux
qui l'ont soutenu
témoins et amis
du passif et de l'avoir
garants du passé
et du respect
qu'une mort même sordide
propose aux derniers
sursauts et aux spasmes crus.
Plus orphelins, eux ,les vivants
que ce que, lui, aurait pu
être , désormais perdu,
mais aussi adultes héritiers
du vaste capital
de son affection.


Et puis, peut-être
l'âme est-elle immortelle :
quelque route qu'elle prenne
indemne
elle arrive à désarçonner
l'infinie souffrance
qu'elle a endurée
et pour ne pas rester
inerte, déroutée
par l'infâme et confuse
affaire terminale.
Où qu'elle vire
qu'elle monte ou descende
jamais elle ne se perd
en se précipitant
dans son délire
en proie à l'inconscient.


... la lente descente
en spirale
vers l'oubli
la lumière qui baisse
et se cabre,
avec le souffle
le cerveau
qui meurt
engloutissant le moi...

Au-delà de l'ultime défi
et le combat perdu
dans la tenace volonté
de résister
à l'outrage prévu
sous l'inflexible guide
de l'instinct
de survie,
il est déjà commencé
à pas lents
le voyage de retour
de la cime de la vie
à son point de départ :
l'état indéfini
- d'oubli
ou de non vie?-
d'avant encore
qu'il fut conçu..


On ne sait ni comment
ni quand
Cependant
il se peut que
cessant
on n'arrête pas
d'être, en attendant,
et qu'une nouvelle
forme de perception
soit la condition
qui nous attend.


Le corps meurt
mais ne meurt
peut-être pas
la conscience
Elle croît, s'intensifie
justement pendant
que sa custode
avance sur la voie
d'une progressive
décadence
et au moment
de l'arrachement
ne s'arrête même plus
contre le mur
de l'absence.
Et ne cesse pas
l'attente du futur.

Oh, la moderne mort
occultée épurée
par la décomposition
rendue extérieure finie
scellée à l'hôpital
apparente; stérilisée
sans puanteur ni rumeur
par peur effacée
des conversations, bannie
suspendue exilée
camouflée balayée
par commercial intérêt
de valeur privée
et pourtant là
au-delà
de son prétendu
démenti :
digue et incision
irréductible démarcation
à qui ne plie pas
et oppose sa puissante
et interne déflagration.

Comment se taire
et faire semblant
de ne pas voir
la blessure,
craindre seulement
qu'elle soit finie...
abandonnés
et condamnés
à la dérive.
Refoulés et vaincus
la grande peur
de l'ensevelissement
le spectre de la fosse
où le moi ne vit plus,
regarder en face
ne plus considérer
comme une menace
ou une honte
la lame
qui rompt le fil.
Pour se réconcilier
avec les cycles inchangés
et se réapproprier
sa propre destinée.
Parce que le deuil
appelle la vie
et non une autre mort.


Que tout meure
pour revivre
soit consumé
pour renaître.
C'est le triomphe
de la vie perpétuée
pendant qu'elle est
ensevelie
Comme elle nous fut
préparée, la voie
à notre tour
nous la préparons
et mourons
pour qu'un autre vive
à nos dépens
et notre gloire.
Chaque génération
est remplacée
par la suivante:
histoire perpétuée
par une autre histoire,
série jamais finie.


Pourtant elle peut cesser
la continuation,
en partie affaiblie
puis empêchée,
à tout coup démolie
si ce sont les jeunes
qui meurent.
Plus de relais
pour les suivre.
Elle cède la rotation,
déroutée,
à sa loi affolée.


On peut truquer
mais pas tant que ça
la partie,
tendre et prolonger
par tous les moyens
les seuils naturels
de la vie.
C'est un défi
qui coûte le prix
de la blessure
non cicatrisée
et de la veine sèche
siliconée.
S'éteint la petite flamme
inévitablement
s'entartre l'appareil
lentement épuisé
rongé, rouillé.
Mais la nouvelle
des dieux immortels
sert d'invite
et il est sans fin
le rêve de régénérer
la lymphe asséchée
de réparer les dégâts
irréparables
à coup de bistouri
et de vitamines.

Vieux lumineux
miroirs de l'extrême
force du détachement
présents et pourtant
déjà loin de la vie
debout sur l'abîme
sans prises
témoins du temps
et de sa promesse
éternelle infinie
sans peurs apparentes
généreux
jusqu'au gâchis
sang et souffle
voix du monde
douce compagnie
pour les fils
de leurs fils
mis sur la voie.


Vieux engourdis
assoiffés de pouvoir
s'appliquant à tirer
les fils de l'intrigue
sourds aux raisons
de la succession
agrippés
à leur position
à quel prix gagnée
altérée usurpée
à tout prix conservée.
Miroirs d'eux-mêmes
hostiles ou indifférents
aux attentes et aux tourments
avares de conseils
contents et persuadés
de ne pas être dépassés
portés
à se croire éternels
inégalables
irremplaçables
poussés à entraver
le naturel relais
et à nier
par pure présomption
la présence et les droits
les qualités des jeunes
fils ou non
mis en suspension
diminués, refusés
rejetés.

Sans la mort,
il n'y aurait
ni destin ni sort .
La vie ne courrait
plus jusqu'au seuil défini,
privée de sens,
condamnée
à être vécue
fût-ce au pas
loin de l'immense,
dans l'indifférence
la plus absolue.


Je sais que je mourrai
et qu'avec moi
pourra brûler
l'énorme fatras
de ma conscience
et alors l'acte
sera en fait conditionné
mais aussi éclairé
par l'évidence
de la libératrice unicité
de chaque instant
qui passe et s'en va.


C'est l'aiguillon
qui talonne et pousse
sans laisser de trêve,
la stimulation
du deuil.
C'est l'obstacle
contre lequel on tente
tout, pour proroger
l'inquiétant
du brusquement
inanimé, la peur,
l'état le plus alarmant
de l'effacement,
pour repousser au-delà
de l'angoisse récurrente
de l'être anéanti,
pour tromper le temps
qui avance dans le passé et
barre, bloque
les portes de son sort
futur.

Sans la mort
il n'y aurait rien
ni société ni histoire
pas d'avenir,
pas même d'espoir.
Condition obligatoire
pour la survie
de l'espèce.
Même si elle ne convainc
pas tout à fait
l'explication,
peu satisfaisante
pour les humaines attentes
face à l'acte de volonté
de chacun
d'être dans la réalité
toujours et en tout cas
celui qui reste.


En alerte le moi
face à soi
obstacle inhibé,
sur la trace
du fait dépisté.
Mais trou de serrure,
blessure ouverte
sur l'impensé :
que gise sous
le fond plat
la profondeur
et que dans le fini
gise l' illimité
constamment mort
et pourtant revivifié.
L'image différente
de l'imaginé.
Et que, dans ce jeu de
différence et identité,
soit dévoilé le peu de vérité
en découvrant que
le monde connu
n'est pas du tout
l'unique réalité.


À travers un écran
ou un verre opaque
au grain à peine
laiteux
on perçoit l'ombre
qui s'évanouit
la silhouette incomplète
sans contours
un instant seulement
avant de devenir
espèce vaine...
Pour tout ce que
je ne vois pas,
je crois,
que quelque chose
de nous restera.
La part la plus subtile
la plus légère
s'envolera
et trouvera la voie
par où passer après
dans le jardin
dans l'arrière du monde.
Et là, dans le fond aveugle
où la vie finit
à nos yeux,
balayée par la mort,
coule un grand
fleuve d'énergie
qui se répand et reverse
au-delà des portes
l'éternel dans le présent.
Arrivée là-haut
à la hauteur
aiguë de l'éternité
dans la splendeur
consciente de la lumière
elle en sera submergée
dans une mer de douceur
et découvrira tout à coup
sa paix absolue.


  Paolo Ruffilli Mail: ruffillipoetry@gmail.com